Transition Politique et les chances de l’opposition : Troisième partie
Léonel Loumou : « Le SDF se cherche, le MRC tente un coup de poker et le PCRN se positionne en embuscade »

Dans cette dernière partie du décryptage des chances de l’opposition pour la transition, le stratège et conseiller politique trace une prospective sur le positionnement et les probables rôles que pourraient jouer certains acteurs de l’opposition. Selon lui, Cabral Libii, serait un bon accompagnateur, du prochain régime et/ou, un futur leader de l’opposition. Maurice Kamto servira de prétexte à la légitimation populaire du prochain président et le Sdf, ne pourra compter que sur ses petits arrangements avec le Rdpc pour survivre.

Malgré tout, depuis 2018, l’opposant Cabral Libii explique à l’opinion qu’il est entré en politique pour devenir président. A trois ans de la prochaine élection présidentielle croyez-vous que cette ambition soit réalisable ?

Toutes les ambitions sont réalisables en politique, pour peu qu’on se donne les moyens d’y arriver et qu’on observe un pragmatisme impitoyable. Le cabinet de stratégie, de lobbying et d’influence que je dirige en ce moment travaille depuis quelques années déjà sur une cartographie d’acteurs politiques et leurs influences respectives sur le processus de la transition qui est déjà en cours. Dans cette matrice prospective et stratégique, nous essayons de ressortir les atouts dont dispose chaque acteur politique actif dans la course au pouvoir suprême dans ce processus de transition. Le député Cabral, jouit d’un certains nombres d’atouts certes important mais insuffisant pour conquérir le pouvoir suprême. Tel que la force générationnelle, car il incarne aussi par son âge et sa nouveauté l’avenir politique, l’expérience d’un mandat électif, l’expérience dans l’exercice de direction d’un parti qui a des élus et d’une candidature à l’élection présidentielle. Ces points, mis en facteur avec les renseignements que nous avons et l’analyse des habitudes du pouvoir depuis Ahidjo, font de lui jusqu’ici un bon acteur adjuvant, du prochain président ou même, un futur leader de l’opposition. Mais de quelle opposition ? les hypothèses sont ouvertes.

Le pouvoir n’obéit à aucune cohérence, même le schéma que je viens de vous tracer peut s’avérer peu plausible. Mais le pouvoir se négocie et se donne à des moments et à des endroits précis… par des personnes bien identifiées. Non pas parce que la personne choisie est la meilleure, la plus intelligente, la plus diplômée ou même la plus populaire, mais parce que la personne à qui on décide le remettre ce pouvoir, a su lire l’évolution du jeu, la sensibilité des intérêts des différents acteurs autours de la table et a su se positionner au Carrefour de ces intérêts de ceux qui font le jeu politique, sans donner le sentiment d’être une menace pour eux (un révolutionnaire, un libre d’esprit ou un ultra nationaliste). Ceux qui vont « choisir » celui à qui les urnes vont donner une légitimité populaire et légale sont ceux que nous appelons dans notre prospective stratégique : « les grands architectes du pouvoir ».

La question est de savoir comment le député Cabral avance ses pions dans un environnement où, il n’est pas le seul à jouir de ces atouts de jeunesse et de popularité. Car avec lui, dans la même course, d’autres prétendants, aussi jeune et bien plus au fait des méandres et des variations du jeu politique de la transition. Ceux-ci disposent pour certains, d’un avantage politique et économique largement au-dessus de Cabral, et même d’une compréhension plus fine et exact des évolutions du jeu politique de la transition. Franck Biya est un exemple… et n’est pas le seul.

L’enjeu va être de se retrouver dans l’axe de la négociation du pouvoir, avec quelque chose à offrir, et une influence contraignante en cas de non satisfaction de ses ambitions. Cabral et son parti y travaille. La député Nourane bénéficie des programmes spéciaux de formation politique dans certains pays européens et Cabral lui, peaufine son entre gens au sein des chancelleries qui pourraient éventuellement mettre un grain de sel dans le jeu politique camerounais. Il aurait rencontré à certains moments des collaborateurs français du ministère des affaires étrangères françaises, curieux de voir ce que peut offrir ce jeunot de la politique au Cameroun. Mais rien de bien excitant, c’est une routine pour ces services de prendre la température du marigot politique en Afrique.

Il n’y a pas que Cabral Libii, car le MRC qui a terminé à la deuxième place lors de la présidentielle de 2018 n’a pas abandonné son projet de reprendre démocratiquement le pouvoir… Vous voyez Maurice Kamto en 2025 ?

Il est évident que si Maurice Kamto est réélu à la tête du Mrc en 2023, face à Michel Ndoki éventuellement, c’est en vue des élections de 2025.

Cependant, il est tout de même curieux de voir comment il va se déployer sur un plan électoral. En optant pour le boycott lors des dernières élections locales en 2019, il a volontairement mis son parti en marge du jeu électoral pour les prochaines échéances. Ou presque. La loi électorale demande au parti politique d’avoir au moins un élu pour prétendre à une candidature à l’élection présidentielle. Ou alors de mobiliser des parrainages, ce qui est difficile dans notre environnement. Face à cette limite juridique, Maurice Kamto s’il est reconduit, devra peut-être s’allier à un parti politique qui a des élus afin d’y glaner l’investiture comme ça été le cas d’autres candidat en 2018.

Une autre option va être un bras de fer pour tordre la loi électorale grâce à la pression populaire afin d’ouvrir le jeu et de permettre une réforme électorale inespérée et improbable aujourd’hui. Ou alors, Maurice Kamto miserait sur une remise à plat totale du processus électoral, à la faveur d’une crise politique et d’une implosion du système gouvernant qui n’aurait pas survécu au départ du président Biya ou à la pression des luttes internes au parti. Ce dernier scénario serait d’avantage favorable à ce leader qui a tout de même un avantage sur les hommes du régime, en matière de mobilisation et d’animation politique. En effet, dans ce schéma, le jeu sera plus ou moins ouvert et la capacité à parler aux foules sera décisive. A arme égale avec l’opposition, nous ne pouvons pas vraiment mesurer la capacité de mobilisation et d’animation politique d’un ministre ou d’un haut commis de l’État et/ou du Rdpc.

Peu importe le cas de figure ou le scénario qui s’applique, Maurice Kamto s’il veut vraiment le pouvoir devra se garder de tomber dans un piège, celui de servir d’instrument de légitimation du « président désigné », qui aura besoin de braver une opposition plus ou moins déterminée pour se construire une image d’homme politique et de « choix du peuple » … pour reprendre un slogan que nous connaissons. Sa détermination affichée et le fanatisme de ses militants, peuvent constituer une belle opportunité d’émulation d’un jeu électoral à l’apparence libre, mais contrôlé par « les grands architectes du pouvoir », qui savent que, l’opinion a besoin de vivre le péril et la gloire d’un homme, pour croire en la naissance d’un héros. Nous l’avons vu avec le président Biya, à qui le coup d’État manqué et la mort de la première Dame Jeanne Irène a forgé et renforcé l’image de « héros » au service de la nation en vers et contre tout.

Si Kamto tombe dans ce piège… il ne lui restera que la place de numéro un de l’opposition à briguer. Quoique, pour un opposant qui accepte de jouer le jeu, c’est une position qui a des avantages… mais qui se nourrit de la souffrance et de la naïveté des citoyens camerounais.

Le SDF est actuellement divisé par une guerre de clans en vue de la succession de son leader historique John Fru Ndi. A votre avis c’est le Titanic qui coule ou c’est le Phénix qui va bientôt renaître de ses cendres ?

Le Titanic SDF a coulé au lendemain des évènements politiques de 92, que le boycott de John Fru Ndi a fini d’achever. Aujourd’hui, le Sdf joue le maintien et espère survivre en un morceau à la transition politique, qui va peut-être imposer un nouveau leader de l’opposition. C’est ici tout l’enjeu pour le moment. Objectivement, c’est l’un des partis qui aujourd’hui voit ses chances d’accéder au pouvoir fondre comme neige au soleil. La crise anglophone qui un temps à sembler être pour cette formation politique une opportunité en or, a tôt fait de devenir un poids pour leur marche vers Étoudi. Le score de la dernière élection présidentielle et la mort de certains cadres du parti n’ont fait que le fragiliser davantage.

S’il veut jouer pleinement un rôle et obtenir un véritable gain politique à l’issue de cette transition et non servir le système dans un probable processus de légitimation, il Sdf va devoir être plus audacieux et amorcer un virage stratégique et peut-être même idéologique sans équivoque. Tout d’abord, il va falloir avant toute transition interne, redéfinir sans ambiguïté le positionnement idéologique du parti (aujourd’hui diffus) vis-à-vis du Cameroun et vis-à-vis du pouvoir en place. La trop grande proximité assumée avec le Rdpc a érodé le capital politique de cette formation historique. Puis, il va falloir trouver des leaders ; des hommes et des femmes qui iront reconquérir politiquement les territoires aujourd’hui perdus ou difficiles d’accès pour le pouvoir et pour les autres partis. Ouvrir de manière régulière et officiel un canal de communication et de médiation avec les indépendantistes et s’inviter publiquement dans la crise et assumer un rôle central. C’est une carte qui sera un levier de négociation déterminant le cas échéant. Enfin, ouvrir le jeu en interne et accepter l’idée que le prochain Chairman du parti peut être soit un francophone sensible à une gestion inclusive de la crise anglophone et avec une bonne capacité de projection sur d’autres territoires – ce qui offrirait une autre perspective politique et renforcerait probablement l’encrage national et international. Soit un anglophone capable d’être perçu sans étiquette identitaire et de susciter la confiance et l’émulation chez toutes les sensibilités politiques, du peuple et même de rassurer l’opinion internationale. Il va devoir se départir des stigmates d’un parti anglophone pour éviter le piège de l’isolement stratégique. Mais pour y arriver, je le dis encore, il va falloir accepter perdre des privilèges acquis de la collaboration avec le régime. Véritable raison des batailles internes.

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