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LVJ : Dans une tribune que vous cosignez cette semaine dans le quotidien Le Messager avec l’universitaire Richard Makon, vous pensez qu’il y a une urgence à procéder à la refondation du Gicam. Comment êtes-vous parvenue à cette conclusion ?
MT : Cette tribune est une contribution, comme bien d’autres, au débat sur la transformation économique du Cameroun, au-delà de l’écho qu’a actuellement la fusion entre le Gicam et Ecam. Le Dr. Richard Makon et moi, pensons que cette actualité a pour le moment occulté le vrai débat qui est celui de la refondation du Gicam, la principale organisation patronale du Cameroun. Il nous semble que le Gicam devrait se restructurer en profondeur pour épouser la structure actuelle de l’économie camerounaise. Car même le chauffeur le plus talentueux au volant d’un véhicule en mauvais état, ne peut pas tenir la route.
Il faut se souvenir que le Gicam a vu le jour en juin 1957 à Douala, donc 66 ans. En ces temps, on parlait de Groupement interprofessionnel pour l’étude et la coordination des intérêts économiques, un syndicat de patrons, majoritairement industriels. Nous sommes là dans une période marquée par les luttes d’indépendance, et bien qu’il y ait eu depuis ce temps des mutations au sein du GICAM, il nous semble que les défis d’aujourd’hui se posent avec acuité, on va même dire que nous sommes dans l’urgence. Par exemple, le Cameroun jadis autosuffisant au plan alimentaire, est désormais au seuil de l’insécurité alimentaire, avec un indice de productivité agricole qui a régressé de 10% en 35 ans. Cette voix –celle du monde agricole - couve sous la cendre, et le Gicam qui constitue ‘une force de progrès au service de l’économie’ devrait lui donner plus du volume.
D’autant qu’au gré des dynamiques mondiales et locales, le secteur privé a évolué et s’est beaucoup métamorphosé. Le témoin de cette évolution c’est la taille sans cesse croissante des PME qui représentent désormais 98 % de l’économie camerounaise. C’est une macrocéphalie que personne n’ignore.
Cette refondation concerne aussi la migration vers une nouvelle organisation intérieure du Gicam. Le principe qui prévaut actuellement est celui de la segmentation en fonction de la taille des entreprises. Dans le monde, cette organisation du patronat est tombée en désuétude : Les experts développent ce qu’ils appellent la théorie de l’agence pour montrer que le regroupement par taille n’est pas très souvent efficace parce que les intérêts peuvent souvent être divergents. C’est pour cette raison que nous pensons qu’une segmentation sectorielle aurait une meilleure efficacité, en termes de convergence d’intérêts, de structuration de pôles métiers et surtout de chaînes de valeurs. Elle faciliterait mieux l’intégration de toutes les formes d’entreprises et rendrait le Gicam plus fort, plus intrusif et plus résilient.
Je pourrais enfin ajouter qu’à sa création, le Gicam regroupait essentiellement les entreprises de Douala. Il a fallu attendre 1961 pour que le Gicam ouvre une délégation à Yaoundé. Le moment est certainement venu d’étendre la sphère géographique du patronat dans les autres villes du pays.
LVJ : Cette refondation peut-elle s’imposer dans le débat de la prochaine élection au Gicam ?
MT : Ah oui. Très certainement. C’est juste que le sujet est malheureusement voilé par le débat sur la fusion qui fait florès en ce moment. Comme Dr Richard Makon et moi l’avons indiqué, la refondation au Gicam peut être voilée, mais elle ne peut plus être refoulée. C’est le moment, car 2035 est juste là.
Voyez-vous, la nouvelle conformation du GICAM pour mettre le cap sur cette décade décisive, va cristalliser le débat de la prochaine campagne pour la présidence du Gicam. Regardez de près le principe de la fusion actuelle ; c’est l’entrée de nouveaux syndiqués issus de la PME, les « Petits Patrons ». Et si le nouvel élu était l’un d’eux ? En rupture avec le profil habituel ? En mieux, et si c’était une Patronne ?
LVJ : Cette refondation dépend de l’issue du projet de fusion entre le Gicam et Ecam ?
MT : Du tout. La refondation est un ambitieux projet d’ajustement de la conformation d’une vénérable institution aux enjeux d’aujourd’hui.
L’économie a besoin d’une transformation structurelle. Pensez-vous que l’écosystème patronal qui anime cette économie devrait rester au piquet ? et encore la plus grande des organisations du secteur privé ? Clairement non. Comme dans une danse, les deux doivent bouger.
LVJ : Dans les années 1950 quand le Gicam voit le jour, son ambition était de défendre les intérêts des multinationales françaises. La preuve, ce sont les patrons de ces multinationales qui se sont trop souvent succédés à la tête de cette organisation patronale. Comment le Gicam peut se départir de cette histoire pour épouser la structure actuelle de l’économie camerounaise ?
MT : On ne refait pas l’histoire, on l’assume. Le regroupement patronal avait le visage de ces années-là ce qui est normal. Il va juste devoir prendre le visage de ces années ci, et ce sera tout autant normal.
En s’inspirant d’ailleurs de son histoire, Le Gicam pourrait retrouver les ressorts profonds de son adaptation face aux enjeux vitaux de l’entreprise, chaque fois qu’elle a affronté des challenges majeurs, comme aujourd’hui. Le bel attelage de 66 ans a toujours su se réinventer, s’ajuster, muter, pour avancer. Aujourd’hui encore, nous sommes à la croisée des chemins et il faut le faire. C’est un essentiel.
LVJ : Environ 500 PMEs siègent en ce moment à l’assemblée générale du Gicam contre 248 grandes entreprises. Pour quelle raison ces PMEs sont presque inaudibles ?
MT : C’est surtout structurel. Le rapport de force n’est pas numérique, mais au poids dans l’économie. Il faut certes faire foule, mais il faut aussi et surtout s’organiser de la façon la plus efficiente possible, pour gagner ses parts de voix. Le challenge est là pour la PME camerounaise.
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