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Pour le stratège et associé gérant du cabinet conseil Orin Consulting Group, depuis la fin des années 90, le pouvoir du président Biya est solidement établi et use des méthodes de plus en plus imparables pour les partis qui se disent de l’opposition. Alors qu’une transition politique est inévitable le parti au pouvoir semble se préparer à mener bataille contre ses propres « démons ». la question de l’opposition a été résolue au lendemain des élections de 92 avec le retrait du Rdpc des mains des intellectuelles progressistes pour le remettre aux mains des héritiers du BDC.
Depuis le retour au multipartisme on accuse l’opposition de chicaner sur les conditions de vote à chaque élection présidentielle au lieu de convaincre les Camerounais. C’est un avis que vous partagez ?
Objectivement, nous sommes tous conscients que le jeu électoral est déséquilibré et majoritairement favorable au parti Rdpc. Le système a depuis le ballotage des élections de 92, mis en place des mécanismes de contrôle quasi imparables pour les opposants camerounais. Ces mécanismes sont hérités du BDC – Bloc Démocratique Camerounais, qui avait véritablement été créé à l’époque des luttes pour l’indépendance, pour contrer l’influence politique de l’Upc. Le BDC était une élite d’hommes formés à la politique, à l’administration et à l’exécution de toutes les stratégies et manœuvres pour casser l’opposition et la révolution.
Au lendemain du ballotage de 92 avec le Sdf, alors que Rdpc était sous influence d’une aile progressiste incarnée et poussée par le Professeur Titus Edzoa, qui avait milité en 86 pour une gestion moderne du parti, le président Biya entreprend de retirer le parti des mains des philosophes et des intellectuels comme Enénézer Njoh Mouelle, pour le remettre entre les mains d’un pur produit du BDC Joseph Charles Ndoumba. Sa mission était de ramener le parti à ses fondamentaux : « désintellectualiser » le parti pour le rendre plus pragmatique afin de ne plus revivre ce que le président Biya considérait comme une « humiliation ».
Ce revirement stratégique en interne marque le début d’une nouvelle ère politique au Cameroun. Une ère dans laquelle le Rdpc de Paul Biya, n’allait rien laisser à l’opposition et tous les coups, devenaient permis. Aujourd’hui encore, certaines personnalités qui accompagnaient Joseph Charles Ndoumba sont encore dans le parti et/ou dans le l’appareil. Notamment Fonkam Azou ou encore Jean Pierre Fogui, ancien Ministre délégué et actuellement secrétaire à la diaspora pour le Rdpc.
Il est important de faire cette mise en contexte, pour que l’opposition camerounaise comprenne que le système électoral camerounais ne changera pas car il procède même de l’Adn du parti au pouvoir. Pour faire face à cela, si elle le veut vraiment, l’opposition doit utiliser les mêmes méthodes que le Rdpc, et accepter de travailler sur un temps long. C’est-à-dire, former fondamentalement une élite politique sur une vision et une idéologie lisible, pour faire face à l’élite dominante actuelle. Trouver des alliés politiques et économiques internationaux (en considérant les restrictions de la loi électorale) pour ne plus dépendre du système financier et politique locale. Entreprendre toujours sur un temps long, une stratégie de politisation de la société en mêlant les techniques nouvelles de communication à celles classiques, comme les cercles de socialisation politiques que les partis à tendance communistes incitaient dans les villages et regroupement humains…on peut encore s’étendre sur la stratégie, mais, aussi longtemps que le Président Biya est en poste et ne consent pas à faire une remise à plat du jeu, l’opposition « La Vraie » n’existera pas et gouvernera pas. Face à lui, elle n’en a pas encore les moyens. Le choix se fera dans le système et l’élection présidentielle, sera la consécration de ce choix… sous l’œil impuissant de « La Vrai opposition »
Qu’entendez-vous par « La vraie opposition » ?
« La Vraie opposition » c’est celle-là qui constitue une véritable menace pour le système, qui est une matrice surpuissante et non pour le président Biya, lui qui est l’homme qui anime la matrice et la fait fonctionner, avec l’aide des services de renseignements de certaines puissances étrangères (pour que vous perceviez la dimension du système). Il faut pouvoir faire la différence.
« La vraie opposition », ne serait pas sorti de prison après une marche politique en laissant ses militants derrière les barreaux. Elle aurait fait front. « La Vraie opposition », n’aurait jamais accepté de troquer son influence politique contre des places dans le gouvernement ou des sièges au parlement. Elle se serait battue quitte à perdre tout privilège. « La vrai opposition », n’aurait jamais accepté des marchés publics, généralement sur fond de corruption de l’administration centrale. Elle l’aurait dénoncée … et on peut en citer d’autres exemples. Cependant, qu’on soit d’accord ou pas, c’est de bonne guerre pour le régime de tout mettre en place pour conserver le pouvoir. Mais que fait l’opposition en sincérité pour conquérir ce même pouvoir ?
La véritable opposition peut-elle venir des transfuges du RDPC au pouvoir ?
Paul Biya est ce que nous qualifions à Orin Consulting Group, dans la troisième évolution de notre cartographie de la transition, « l’acteur système ». C’est de lui que tout tient et que tout se tient. En sa présence toutes les données sont biaisées. Le vrai poids politique de ses hommes est inconnu, le vrai poids politique de l’opposition est inconnu. Il annule tout et détermine tout dans ce jeu.
Les transfuges n’auront de rôle déterminant qu’en l’absence du président Biya. Ou si, dans un sursaut d’orgueil démocratique, il [le président] décide d’organiser le jeu de sa transition lui-même étant arbitre et de l’ouvrir, avec une remise à plat total en matière de justice et de loi électoral, comme l’avait fait Abdou Diouf au Sénégal.
Au cas contraire, la véritable capacité de nuisance des transfuges du Rdpc, ne sera perceptible qu’une fois, le nouveau président installé. C’est l’alternance qui dope l’opposition et les contres pouvoirs. Car, ceux qui étaient aux affaires se retrouvent dans l’opposition et la société civile, avec toutes les ressources mobilisées durant leur service. Et le jeu politique est de plus en plus équilibré dans les rapports de forces.
A quoi faut-il s’attendre en 2025 ?
A un scénario catastrophe, si le président Biya ne prend pas la peine d’organiser lui-même la transition. Rationnellement, il est 80% de la solution… pour une transition pacifique.
En son absence, rien ne tient plus et personne ne répond et n’obéit plus à personne. Le gouvernement est fragmenté en plusieurs clans, prêt à tout pour leur survie, la force de feu est émiettée et reste à distance du Bataillon d’intervention Rapide (BIR), le renseignement est aux mains des Israéliens, qui sauront comment l’utiliser probablement pour des intérêts occidentaux, les institutions chargées d’appliquer la constitution sont entre des mains des personnes nommées qui n’auront plus aucune légitimité, le Rdpc n’aura plus de chef « légitime » s’ils n’arrivent pas à s’entendre sur un testament. Et dans ce cas de figure, l’opposition pourra ou mieux, un acteur politique hors système aura des chances d’offrir une alternative.
Ceci pourra se jouer sur la légitimité charismatique et l’agilité diplomatique entre les clans en lutte et les puissances prêtes à surfer sur les lignes de forces qui vont se dégager pour ouvrir la voie au nouvel homme fort. Croyez-moi, dans cette configuration, tout est possible et n’importe quel Camerounais peut devenir président. La compétence ne sera pas un critère décisif. Le pragmatisme sauvage oui. Le cas de la Rdc est un enseignement.
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